Prendre forme
L’image photographique fait exister des temporalités qui, vécues trop fugitivement, n’auraient sinon jamais été perçues sur l’instant. Précipitant la représentation d’un passé [qui n’a peut-être jamais existé] dans la résolution d’un présent [qui n’est peut-être qu’illusion], elle sauve l’existence de la dissolution en faisant survenir un quelque chose, fait, peut-être, d’artifices, de hasards et d’accidents, mais sur lequel nous bâtissons néanmoins notre propre fiction, donnons forme à la vie, figurons. L’image photographique procure l’illusion d’une constance. Se substituant à l’événement, elle s’impose comme le témoignage d’un moment tant incertain qu’on ne saurait dire s’il a ou non vraiment été autrement que dans l’imagination mais qui pourtant marquera la mémoire plus certainement que le fait en lui même. On cherchera ainsi la source de la signification dans l’activité représentative opérant dans l’esprit plutôt que dans l’action. La photo s’inscrit dans cette maïeutique fluctuante de l’humeur. Elle tire l’instant d’une dissolution assurée pour l’engager dans une hypothèse questionnable. Tel un coup de froid immobilisant soudainement l’écoulement du fleuve héraclitien, elle permet de saisir la forme d’un instant sur quoi l’inspiration peut échafauder ses fictions. En figeant la réalité, la photo trompe ainsi la raison tout autant qu’elle la satisfait. Elle élargit le réel comme elle le renie. Manifestation de la vie, attestation de la mort, l’image photographique est lieu de rémission où création et extinction semblent se confondre dans une collusion singulière par laquelle le temps trouve forme selon la disposition des sensibilités particulières. On peut ainsi dire que la réalité ne cesse de se complexifier sous la multiplication et la diversification exponentielle des regards. Qu’elle se démultiplie chaque fois que l’on pense en tenir un bout. Aussi ne peut-il y avoir de fin à la création. Aucune réponse au mystère. Nulle limite à l’investigation. L’histoire, l’art, Dieu… ne sont pas morts —comme certains l’ont résolument soutenu. Ils sont plus surement en refonte permanente.
QUELLE EST CETTE IMAGE ? [020]: Irisations à la surface d’une piscine. Marseille
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