Vivre c’est éprouver
Rien n’est perceptible qui nous touchoit par l’interne attouchement a écrit Montaigne. Vivre c’est éprouver! La contemplation muette s’impose comme mode d’accès privilégié pour toucher au mieux à la beauté du monde des formes. On éprouve ainsi que la vie est la considération immédiate des choses que l’on fait naître à partir des sens en général et du regard en particulier. C’est ce que les Anciens nommèrent le sens intérieur ou le sens commun: un centre de tous les centrespar lequel l’aspect des choses passe du sens corporel au sens spirituel. Le fait de sentir que nous sentons était pour Aristote le propre non seulement de l’homme mais de tout le vivant. Comme le fit remarquer le philosophe, la sensation a pour rôle manifeste d’indiquer le présent. Elle lie l’existence au sensible. Et sa trace [l’émotion] qui persiste alimente le souvenir, illusionne sur la possibilité de durer. Ainsi, c’est moins la logique et la volonté qui nous gouvernent que le ressenti, le feeling. Un maintenant où fusionnent les qualités sensibles collectées par le sens commun pour tenter de tirer une homogénéité de ce qui n’est qu’imperceptible. Nous n’allons pas, on nous emporte, constate Montaigne. On s’emploie à bien raisonner, à soupeser les pour et les contre, à identifier les risques, à estimer les chances de succès, à évaluer les conséquences… mais, la plupart du temps, on fait sur le moment avec les circonstances, on s’arrange avec les événements. Des courants agissent, des flux nous parcourent sans que nous en ayons conscience. Il se passe en nous des phénomènes qui échappent à notre logique et à notre raison et qui pourtant marquent notre vie plus certainement que l’exercice de la volonté. Poussés par une force capricieuse et peut-être supérieure, sorte de vision directe et immédiate, nous ne nous fions, en définitive, qu’à notre intuition comme si les causes réelles de nos actes nous échappaient. Nous ne voulons rien librement, rien absolument, rien constamment ajoute Montaigne. Et pourtant nos buts sont sans fin. A peine l’un d’entre eux est atteint qu’un autre se présente! D’où nous vient ce nouveau désir. Du besoin, peut-être, de se sentir vivant?
QUELLE EST CETTE IMAGE? [017]: Reflets sur un bronze. Ile de San Giorgio Maggiore. Venise. Italie
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