Accueillir le jour
La quête de la lumière est étymologiquement divine [di = briller, soleil, dieu]. Dieu [ou plus pertinemment Lucifer] est ce qui brille, c’est la lumière dans le ciel. C’est à Ça que le photographe a affaire. Il l’explore, l’expérimente, le transcende. Cette expérience illuminante est le résultat d’une communion avec l’origine par laquelle nous prenons conscience que Dieu n’est autre que notre capacité à accueillir le jour. Chaque prise de vue est prise de lumière, un marquage de l’étendue par le temps, une césure par laquelle s’exprime une brève version du monde. Elle est une expression limitée de l’illimité, une façon dont un fini exprime, d’une façon singulière, l’infini. La photographie éveille le dehors dans un dedans. Elle est cet oiseau qui surgit et fait soudain prendre conscience du silence environnant. Le «ça a été» que Roland Barthes* —obsédé par le soucis de retrouver la présence de sa mère défunte à travers la photo du jardin d’hiver— désigne comme le fruit même de l’acte photographique, c’est à dire la nécessaire réalité de la chose placée devant l’objectif, confirme davantage la puissance d’évocation hallucinatoire de la photographie qu’il ne démontre l’existence irréfutable du sujet tel qu’il fut dans la lumière vivante. L’objet renait chaque fois dans la photographie avec une identité nouvelle et autonome conçoit Jean Baudrillard. L’évidence sensible que présente la photographie est une fausse évidence. Elle ne saisit qu’une image de l’objet, non l’objet lui-même. On a chaque fois affaire à une connaissance accidentelle qui aurait aussi bien ne pas avoir eu lieu. Il y a dans la photographie comme un espoir toujours déçu, un désir de captation jamais assouvi, comme une mise en évidence de l’imperfection des êtres: l’exact moment sans cesse recherché, approché mais jamais parfaitement atteint. “Cela que je vois“ ne s’est peut-être jamais trouvé là, du moins pas tel que je le reçoit à présent! Une photo ne prouve rien. Personne n’est jamais vu de l’icône qu’à la manière dont il la regarde lui-même assure Nicolas de Cues. C’est dire que tout ce qui se montre à nous n’est que le reflet de l’esprit, une apparition spectrale. Oui, tout dans ce monde est hanté! lance Max Stirner**. Nous pouvons en conclure que la qualité du regard dépend non seulement de l’acuité visuelle mais aussi de la faculté esthétique et morale à la développer.
QUELLE EST CETTE IMAGE ? [019]: Eclats de lumière sur une sculpture de George Rickey. Naoshima. Japon
Suite par: http://www.numilog.com/363742/Le-Photographe-ignorant.ebook
* La Chambre Claire. Édit Gallimard / ** Philosophe allemand précurseur de l’anarchisme individualiste