Champs morphiques
Se pourrait-il que l’objet puisse agir directement sur l’âme humaine, l’impressionner par une sorte de force sensible, un flux nommé désir? Le monde extérieur s’imposerait-il par une volonté hypnotique? Le dehors nous investit assurément. C’est la lumière, là-bas, qui entre en nous, non le regard qui porte [comme on le dit]. Elle est le principe révélateur. Le monde des formes ne pourrait par lui-même attirer notre attention s’il ne recevait par ailleurs une mise en évidence. On se souvient de la remarque de Gœthe à Schopenhauer: Vous ne seriez pas là si la lumière elle-même ne vous voyait! La lumière est l’énigme de notre regard. Ce qu’il faut voir, c’est ce qui nous fait voir. C’est bien parce que la lumière fut qu’il y a l’œil. Agissant par la lumière et dans la lumière, la photographie capte des images de la vie. Elle souligne ce qui n’existe que par un hasard furtif de conjonctions. Elle fait trace de ce qui n’est peut être qu’une illusion, du rien qui bouge comme l’envisage Patrick Burensteinas*, une vapeur évanescente comme le dit Nietzsche. Elle donne du crédit au mirage. Elle atteste l’illusion en retenant l’instant. Mais pour les physiciens “rien“, ça n’existe pas. Le vide n’est pas si vide. Il occupe une fonction essentielle. Il est l’essence de toutes choses. Pour le docteur en biologie Rupert Sheldrake, l’espace abonde de champs organisateurs [qu’il dit quantiques ou morphiques] qui constituent la réalité fondamentale. Indépendants de la matière, ils sont comme des champs d’information [sortes de logiciels sans support]. L’âme du monde de Platon? L’éther d’Aristote? La Forme des formes de Thierry de Chartres, L’essence éternelle de Nicolas de Cues, Le Tout vivant de Gœthe? Le Grand Vivant de Bergson? La force d’aimer de Lamartine? Le réseau tellurique de Hartmann? Ou encore le icloud de Steve Jobs? Depuis toujours —et contre toute évidence— l’homme veut croire à l’existence d’une respiration invisible, un enveloppement originaire, qui l’associerait de façon transcendante à un cosmos vivant.
QUELLE EST CETTE IMAGE ? [018]: Gros plan de lames de couteaux sur le marché aux poissons de Tsukiji. Tokyo. Japon
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* De la Matière à la Lumière. Édit Le Mercure Dauphinois.